Albert Cohen
BELLE
du SEIGNEUR
(chapitre XXXV)
Lecture-Spectacle
avec :
Yvan Serouge
Chrystel Petitgas
Notes d’intention
Belle du Seigneur est un de ces livres qui engloutit celui qui le lit, celui qui y pénètre. Le lecteur est le témoin complice, impuissant de cette histoire qui se conjugue à deux, l’histoire d’un homme et d’une femme qui s’aiment. Passionnément, aveuglément, fatalement.
Pendant longtemps je me suis dit que cette histoire devait demeurer là où elle était née : dans le livre.
Puis en lisant et relisant certains passages, je me suis rendue compte que cette langue était écrite pour être dite. Dite et entendue. Comme un chant.
Et je me suis également aperçue qu’il existait de nombreuses personnes qui avaient lu et aimé le livre, mais qui en avaient oublié la langue.
De là est née l’envie de faire sortir ces mots de la page, de les faire exister pour un public.
Et puis, à l’heure où tout est bon pour tordre le cou à l’espoir, où de vieux mécanismes de stigmatisation sont remis en marche, où tous les coups (bas) sont permis, il est temps de faire entendre la voix de celui qui s’est battu-débattu pour que dignité soit rendue à l’homme, dignité à la mesure de son naufrage.
C’est sans doute parce que cette écriture porte un horizon plus grand que le roman lui-même, qu’elle insuffle à celui qui entre en contact avec elle le sentiment aigu d’appartenir à l’espèce humaine. Et qu’elle interroge le sens de cette appartenance.
Chrystel Petitgas
Belle du Seigneur : le récit
Dans les années 30, à Genève. Solal est haut fonctionnaire à la Société des Nations. Il est juif, jeune, beau, brillant. Rien ne lui résiste ; sauf une belle jeune femme dont il est tombé profondément amoureux. Elle s’appelle Ariane, est une aristocrate protestante mariée à Adrien Deume, petit fonctionnaire à la même Société des Nations.
Solal va tout mettre en jeu pour faire la conquête d’Ariane.
Elle sera séduite, deviendra la Belle du Seigneur.
Le couple quittera alors Genève pour la France, où il tentera d’exister malgré la réprobation de ses pairs. Au terme d’une longue errance, il décidera de disparaître.
Au-delà de l’histoire d’un homme et d’une femme, c’est aussi l’histoire d’un exil et d’une asphyxie sociale, une démonstration flamboyante de l’irréconciliable, ou comment deux cultures, culture protestante occidentale, et culture orientale juive tentent de s ‘apprivoiser en se fuyant toujours.
C’est aussi un chant magnifique à l’amour, à la vie, à la langue...
Extraits choisis : chapitre XXXV.... Babouineries et séduction
Albert Cohen a passé plus de dix ans de sa vie à écrire ce texte. Il l ‘a soumis aux éditions Gallimard en 1938 et a essuyé un refus. Il devra attendre 1968 avant de voir son ouvrage publié. Entre 1938 et 1968 il a retravaillé encore à ce livre.
Nous avons choisi de lire le chapitre qui met en scène la rencontre entre Ariane et Solal. La rencontre a lieu dans la suite de l’hôtel du Ritz, à Genève : c’est le moment où Solal, mi-dieu, mi-bouffon, dans son entreprise avouée de séduction, explique à Ariane comment la fascination pour la force régit les rapports sociaux, et en quoi les rapports entre hommes et femmes n’échappent pas à cette fascination. Moment où il démonte un à un les manèges de la séduction pour mieux les actionner.
*******************************************
« - Honte de devoir leur amour à ma beauté, mon écoeurante beauté qui fait battre les paupières des chéries, ma méprisable beauté dont elles me cassent les oreilles depuis mes seize ans. Elles seront bien attrapées lorsque je serai vieux et la goutte au nez (...)
(...)Affreux. Car cette beauté qu’elles veulent toutes, paupières battantes, cette beauté virile qui est haute taille, muscles durs et dents mordeuses, cette beauté qu’est-elle sinon témoignage de jeunesse et de santé, c’est-à-dire de force physique, c’est-à-dire de ce pouvoir de combattre et de nuire qui en est la preuve, et dont le comble, la sanction et l’ultime secrète racine est le pouvoir de tuer, l’antique pouvoir de l’âge de pierre, et c’est ce pouvoir que cherche l’inconscient des délicieuses, croyantes et spiritualistes. D’où leur passion pour les officiers de carrière. Bref, pour qu’elles tombent en amour il faut qu’elles me sentent leur tueur virtuel, capable de les protéger. (...) Quoi, parlez, je vous y autorise.
- Pourquoi n’allez-vous pas dire votre amour à une vieille bossue ?
- Haha, elle fait l’intelligente ! Pourquoi ? Parce que je suis un affreux mâle ! (...)»
Albert Cohen , Belle du Seigneur. chapitre XXXV
ALBERT COHEN.
Albert Cohen est né à Corfou (Grèce) en 1895 dans une famille de commerçants juifs qui émigre à Marseille en 1900. Il y devient l’ami de son condisciple Marcel Pagnol, puis rejoint Genève en 1914 où il obtient une licence en Droit. Ottoman de naissance, il est naturalisé Suisse en 1919. En 1925, il est délégué du mouvement sioniste auprès de la Société des Nations et entre au Bureau International du Travail.
Sa carrière de diplomate se poursuit notamment pendant la Seconde Guerre Mondiale dans le gouvernement du Général de Gaulle à Londres ; en 1945, il est nommé conseiller juridique au Comité intergouvernemental pour la protection des réfugiés, travail qu’il poursuit à Genève pour l’Organisation Internationale des Réfugiés.
Parallèlement à sa carrière professionnelle, il écrit poèmes, récits autobiographiques, essais, une pièce de théâtre et, bien sûr, la Saga des Solal, Juifs de Céphalonie en quatre romans : Solal (1930), Mangeclous (1938), Belle du Seigneur (1968) et Les Valeureux (1969).
Belle du Seigneur, couronné par le Grand Prix de l’Académie Française, est un roman lyrique, rabelaisien, dans lequel se dégagent trois axes récurrents chez Albert Cohen : l’amour du peuple juif, traité avec lucidité, humour, profondeur et exubérance ; l’hymne à la femme et l’exploration des méandres de la passion amoureuse poussée à son paroxysme ; l’obsession de la mort.
Dissection au scalpel de la petite bourgeoisie, plume acérée pour décrire les fonctionnaires de la SDN, caricature comique et attendrie des Valeureux, ironie sarcastique pour détailler les comportements : par son écriture plurielle, Albert Cohen embarque le lecteur dans une contrée fantastique, à l’aide entre autres de monologues sans ponctuation, sans paragraphe, dans un tourbillon de mots, de néologismes qui laissent affleurer la densité, l’émotion et l’humanité des personnages.
Autres oeuvres importantes : Le Livre de ma mère (1954), O vous, frères humains (1972), Carnets (1978). Albert Cohen est mort à Genève en 1981. ...le burlesque est à fleur de plume...
Bertrand Poirot-DelpechLe Monde - 20/10/1981
Sa carrière de diplomate se poursuit notamment pendant la Seconde Guerre Mondiale dans le gouvernement du Général de Gaulle à Londres ; en 1945, il est nommé conseiller juridique au Comité intergouvernemental pour la protection des réfugiés, travail qu’il poursuit à Genève pour l’Organisation Internationale des Réfugiés.
Parallèlement à sa carrière professionnelle, il écrit poèmes, récits autobiographiques, essais, une pièce de théâtre et, bien sûr, la Saga des Solal, Juifs de Céphalonie en quatre romans : Solal (1930), Mangeclous (1938), Belle du Seigneur (1968) et Les Valeureux (1969).
Belle du Seigneur, couronné par le Grand Prix de l’Académie Française, est un roman lyrique, rabelaisien, dans lequel se dégagent trois axes récurrents chez Albert Cohen : l’amour du peuple juif, traité avec lucidité, humour, profondeur et exubérance ; l’hymne à la femme et l’exploration des méandres de la passion amoureuse poussée à son paroxysme ; l’obsession de la mort.
Dissection au scalpel de la petite bourgeoisie, plume acérée pour décrire les fonctionnaires de la SDN, caricature comique et attendrie des Valeureux, ironie sarcastique pour détailler les comportements : par son écriture plurielle, Albert Cohen embarque le lecteur dans une contrée fantastique, à l’aide entre autres de monologues sans ponctuation, sans paragraphe, dans un tourbillon de mots, de néologismes qui laissent affleurer la densité, l’émotion et l’humanité des personnages.
Autres oeuvres importantes : Le Livre de ma mère (1954), O vous, frères humains (1972), Carnets (1978). Albert Cohen est mort à Genève en 1981. ...le burlesque est à fleur de plume...
Bertrand Poirot-DelpechLe Monde - 20/10/1981